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Dans le mélancolique Le Fleuve Alphée (1978), paru au soir de sa vie, Roger Caillois consacre de magnifiques pages à son enfance à la campagne comme dans Reims en ruine, dévastée par les bombardements de la première guerre mondiale. Le livre permet de remonter aux sources de ce qu’il appela les « sciences diagonales ». Par cette expression, Caillois entend une quête des liens, des ressemblances, des analogies, des paires qui traversent un « univers inextricable ».
L’intellectuel n’a eu de cesse de tendre l’oreille, à la recherche d’échos, de duplications entre les formes, les êtres, les choses ; de tenter « de joindre par les raccourcis nécessaires les nombreux postes d’une périphérie démesurément étendue », afin de « percevoir un genre de relations que, seul, un savoir polyvalent est apte » à discerner.
Tout commence avec un simple mousqueton. Dans ses jeunes années, Roger Caillois fut fasciné pour cet objet dont il aimait la mécanique merveilleuse mais aussi la ressemblance entre le trou ovale, à l’intérieur du crochet, et la cavité qui se trouve au centre de l’os de la hanche du lapin, cette « inexplicable cuiller trouée ».
Cette découverte fut un moment initiatique pour un enfant qui n’allait pas encore à l’école. Son œuvre sera sans cesse traversée d’objets de ce type qu’il nomme « carrefours », « transfuges » : autant de signaux pour s’orienter dans l’univers de ses fameuses sciences diagonales qui refusent la compartimentation comme la spécialisation. « Chez moi, il y eut toujours un mousqueton pour balancer une lecture », écrit-il.
Porté par son goût de l’analogie, Caillois écrit qu’il finit par trouver « naturel que les usines des hommes fabriquent de la fonte, puisque les abeilles fabriquaient du miel ». Ce qui lui permit d’ouvrir des « perspectives contradictoires », ni complètement révélatrices ni totalement trompeuses à ses yeux. Selon l’écrivain, « aucun objet n’avait en lui-même de pouvoir initiatique, mais plusieurs faisaient office de clé (…) et provoquaient ainsi la rêverie qui, à son tour, suscitait parfois la découverte ».
Par un effet mimétique, son œuvre est, elle aussi, un immense cabinet de curiosités, peuplé d’éléments hétéroclites mais appariés, sans raison apparente. On est alors tout au bonheur de suivre la démarche « oblique » de l’auteur. On s’y déplace, émerveillé, comme à travers les « cases d’un échiquier », pour reprendre le titre de l’un de ses ouvrages.
C’est d’ailleurs dans ce dernier que j’ai croisé, parmi tant de rapprochements opérés par Caillois, celui qui reste à mes yeux le plus comique. Il fait ainsi un lien, fort misogyne, entre l’attrait que susciterait, chez les femmes, un homme à beau patrimoine immobilier et, chez certaines antilopes de l’Ouganda, le « snobisme de la résidence centrale [qui] attire les femelles mieux que la vigueur du mâle ».
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